La nuit (presque) américaine

"L’Ouest.
Mot mystérieux.
Qu’est-ce que l’Ouest ? [...]
Il y a des récits d’Indiens qui parlent d’un pays enchanté, de villes d’or, de femmes qui n’ont qu’un sein. Même les trappeurs qui descendent du nord avec leur chargement de fourrures ont entendu parler sous leur haute latitude de ces pays merveilleux de l’ouest où, disent-ils, les fruits sont d’or et d’argent."

Blaise Cendrars, L’Or

L’Or est la biographie de John Sutter, un suisse qui développa un immense domaine agricole qu’il baptisa «Nouvelle-Helvétie» (connu aussi sous le nom de « Fort-Sutter »), en Californie. Sur le point de devenir l’homme le plus riche du monde, il fut ruiné par la découverte d’or sur ses terres. Son fils John fonda la ville de Sacramento 1848.

La Suisse, à de nombreux égards, est à l’antipode de l’Amérique. Pourtant, l’influence de la culture américaine y est, comme ailleurs, extrêmement puissante. Dans la série La Nuit (presque) Américaine, ce que je donne à voir ce n’est pas une influence latente, mais un mode de vie inspiré des États-Unis, un way of life fantasmé qui s’attache plus particulièrement aux années 50.

Les personnes photographiées, légitimes et investies, se réalisent en envisageant la vie comme une performance. Après avoir observé et étudié cette sous-culture, j’ai choisi de déterminer 3 axes de prises de vues qui répondent à différents éléments d’identification: la mode, la mécanique et la musique. Les individus que je photographie sont dans ce qu’on pourrait décrire comme une «invention du quotidien», cette manière d’envisager le présent ne peut se faire pour eux qu’en regard du passé, en opposition au contemporain. Avec une créativité souvent très codée et normée, ils affirment leur refus de la modernité et « fabriquent » un sens à leur existence à travers une époque et une culture qui, bien qu’étrangères, leur correspondent mieux.